Madrid, le 6 mai
Tout a commencé en 2015, avec trois mots prononcés par ma fille de 3 ans. Je lui donnais le bain, quand soudain elle s’est tournée vers moi et m’a dit : « Papa m’a touchée ».
J’étais heureuse en mariage à l’époque, avec un autre enfant de 4 mois. J’ai passé les deux mois et demi suivants la peur au ventre, étendue dans le lit, tremblante, à me demander si je me réveillerais le matin. Je voulais le prendre sur le fait, avoir des preuves. J’ai fini par décider de le signaler avant de le quitter.
Après que j’ai averti les autorités de mes suspicions, que ma fille était peut-être victime de violences sexuelles, il a été convenu que mes enfants verraient leur père lors de visites supervisées dans un lieu de rendez-vous établi. Ma demande de mesure d’éloignement a été rejetée.
Pendant ces visites, ma fille faisait des crises de panique. Ses visites ont donc été suspendues, mais on m’a forcée à continuer d’y amener mon fils.
En 2018, j’ai été obligée de signaler aux autorités que mon fils avait peut-être été victime de son père durant l’une de ces visites, après une consultation à l’hôpital qui avait consigné cette suspicion par écrit et enclenché le protocole. Mais mes plaintes pour agressions sexuelles contre leur père ont été classées sans suite.
En 2018, une mesure de protection a été prononcée, suspendant toute visite et communication entre mes enfants et leur père. La cour a jugé que les preuves apportées justifiaient des suspicions de violences, mais cela n’a pas empêché cette même cour, présidée par un juge différent, d’ordonner en février 2020 un changement de garde en faveur du parent mis en examen.
Mes enfants m’ont donc été retirés. Le plus jeune, qui avait 4 ans à l’époque, a été confié à son père. Mon aînée, alors âgée de 7 ans, a été envoyée en famille d’accueil car elle refusait de vivre avec lui.
Pour moi, c’est un triple déchirement : mes deux enfants m’ont été enlevés, et un frère et une sœur ont été séparés l’un de l’autre, au motif que je les manipulais pour les retourner contre leur père. Ma fille a vécu dans un foyer d’accueil pendant près de dix mois, sans pouvoir entrer en communication avec moi.
Par la suite, je n’ai pas eu le moindre contact avec mon fils pendant deux ans, ni avec ma fille pendant six mois de plus. Puis, pendant deux ans et demi, j’ai pu les voir séparément à raison d’une heure toutes les deux semaines.
En mai 2023, j’ai été jugée pour enlèvement. Leur père m’a signalée pour lui avoir ramené les enfants avec plus de 14 jours de retard. Le juge m’a acquittée, mais peut-être uniquement grâce à l’observation de procès mise en place et à la présence de plusieurs avocat·e·s et journalistes.
J’ai dû affronter près de 14 poursuites pénales. J’ai des hypothèques, je suis ruinée. Aujourd’hui, même si je n’ai toujours pas la garde de mes enfants, je suis tellement convaincue que le système est défaillant et ne changera pas, que je ne compte pas m’adresser à la justice. Ça m’épuise émotionnellement et financièrement, et au final, ça ne sert à rien.
J’ai un certificat de victime de violence sexiste qui reconnaît que j’ai été victime de violence institutionnelle. Ce certificat vient de l’Institut des Femmes en Catalogne et reconnaît qu’on m’a soumise au faux syndrome d’aliénation parentale, interdit par la loi catalane. (Le syndrome d’aliénation parentale est une notion controversée introduite par le psychiatre américain Richard Gardner, selon laquelle un parent (souvent la mère) manipule ses enfants pour qu’iels rejettent l’autre parent (souvent le père), sans motif valable, ndlr.) J’ai subi des violences institutionnelles de toutes formes.
C’est pour cette raison qu’en 2018 ou 2019, j’ai créé avec un groupe de femmes le réseau des Mères protectrices. Notre but était d’être connectées et capables d’agir collectivement et anonymement pour éviter les représailles.
Nous avons lancé des initiatives comme un rapport que nous avons soumis à la CEDAW (la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ndlr). Une étude publiée par le ministère de l’Égalité intitulée « Violences institutionnelles contre les mères protectrices » a également beaucoup compté pour nous.
Depuis, nous avons gagné en visibilité collective. Le réseau nous aide à obtenir au moins un certain soutien institutionnel. Nous sommes maintenant reconnues en tant que mères protectrices, même si ce statut ne nous protège pas et suscite plutôt des représailles et un continuum de violences à notre encontre.
Encore aujourd’hui, je ne peux voir mes enfants qu’un week-end sur deux et pendant la moité des vacances. Je n’ai toujours pas leur garde, ce qui signifie que notre éloignement se poursuit. Émotionnellement, je suis effondrée. Vivre en état d’apathie est la seule chose qui me permet de tenir. Ma santé en pâtit aussi, car tant que les enfants sont jeunes, le combat ne s’arrête jamais.