Bologne, le 15 janvier
J’ai compris ce qu’il y avait dans mon assiette seulement à 16 ans. Enfant, j’ai toujours mangé de la viande et des produits d’origine animale. C’était quelque chose d’on ne peut plus normal dans le petit village sarde où je vivais. Je me souviens que, pendant un temps, nous avons eu des lapins à la maison. J’étais subjuguée par leur douceur, mais quand ils se retrouvaient dans mon plat, je ne les reconnaissais pas.
À Pacques, chez moi, on mange de l’agneau. À cette occasion, il arrivait donc que mon père ramène un petit agneau, qu’après quelques mois, il abattait. Une situation étrange, car mes parents étaient très doux et affectueux avec ces animaux, même si après iels les tuaient.
Régulièrement, les animaux avec lesquels je jouais disparaissaient. Nos parents faisaient en sorte que nous ne fassions pas le lien entre l’agneau qu’iels avaient nourri au biberon jusqu’à quelques jours plus tôt et ce qu’on nous servait pour le déjeuner.
Je me souviens en particulier d’un agneau pour lequel toute la famille s’était prise d’affection. À l’époque, nous avions un husky. Un soir, il a réussi à passer par-dessus la clôture de l’enclos où dormait la petite bête et l’a réduite en pièces. Nous étions toustes désespéré·es, mon père aussi, pourtant, dans tous les cas, il aurait fini dans nos assiettes peu de temps après.
À 16 ans, lors d’un cours à l’école, j’ai découvert ce qui se passait dans les fermes. J’étais sous le choc, car j’étais persuadée que l’abattage était un processus indolore et les fermes des lieux joyeux. J’ai immédiatement décidé d’arrêter de manger de la viande pendant plusieurs mois, un peu comme si je me réveillais après un rêve.
Puis à 30 ans, je suis devenue végane après avoir compris ce qui se passait dans les élevages et lors de la production de sous-produits animaux – le fait par exemple, qu’une vache, comme tout mammifère, ne produise du lait que lorsqu’elle est enceinte et non en continu naturellement, et que ce lait soit destiné à nourrir son veau, pas des humain·es.
Dans ma famille, personne ne s’est opposé à mon choix ou à tenter de me faire changer d’avis. Iels ont toujours respecté ma décision. Mais ça n’a pas été facile pour autant : ma sœur, par exemple, est éleveuse de bufflons et produit du lait de bufflon pour sa propre laiterie. Avec le temps, j’ai dû me faire à l’idée qu’il y aurait toujours une différence abyssale entre nos styles de vie et apprendre à vivre avec cette distance qui nous sépare.
Du point de vue de la santé mentale, c’est un poids parce que c’est comme si les autres ne parvenaient pas à voir ce que tu vois dans ton assiette.
Au moment d’abattre un animal, la plupart des gens cessent de le considérer comme un être vivant. Malheureusement, c’est compliqué de changer nos façons d’envisager la nourriture, car certaines habitudes sont difficiles à abandonner. On pourrait pourtant commencer par voir l’alimentation végétale non pas comme un renoncement à sa culture et ses propres traditions culinaires, mais plutôt comme une évolution.
C’est dans ce sens que durant le confinement, j’ai posté sur les réseaux une vidéo dans laquelle je préparais des lasagnes véganes. De là est née ma page Little Vegan Witch, où je partage recettes et conseils. Beaucoup de personnes pensent qu’être végan·e, c’est renoncer au gout de la nourriture. C’est faux. L’alimentation végétale permet d’élargir sa vision de la cuisine, car en plus de reproduire la cuisine traditionnelle, on découvre de nouvelles saveurs.
Beaucoup de membres de ma communauté sont omnivores et me suivent par curiosité. Certain·es m’écrivent pour me dire qu’iels ont drastiquement diminué leur usage de produits d’origine animale après avoir essayé mes recettes. Il faut pour autant toujours expliquer pourquoi nous avons besoin de recettes véganes, c’est-à-dire leur dimension éthique pour nous, les animaux et l’environnement.
Devenir végane a vraiment été une source d’enrichissement pour moi, car je me suis intéressée à la cuisine d’autres pays et cultures. Et je ressens moins de culpabilité quant à ce qui se retrouve dans mon assiette, même si comme tout le monde, je garde mes contradictions. Pour moi aussi, le veganfail est toujours au coin de la rue, je suis par exemple bien consciente que la plupart des produits pharmaceutiques que j’utilise contiennent du lactose. Chaque action humaine a un impact sur la vie des animaux et la planète.
C’est capital de sortir du modèle alimentaire actuel, qui est vraiment destructeur. Être végan·e est un choix personnel, mais dont la portée est collective. Cela bénéficie à la communauté entière, dans le sens où cela impacte le moins possible les autres êtres vivants et notre environnement. Malheureusement aujourd’hui, il reste confiné à l’échelle individuelle puisque nos gouvernements agissent peu ou pas pour en faire une responsabilité collective. Mais je suis convaincue qu’un jour ou l’autre, le monde entier se nourrira essentiellement de végétaux.