Padoue, le 4 décembre 2024
Bien sûr, j’ai toujours su que les violences sexistes existaient. Mais jusqu’à l’année dernière, je me sentais comme extérieur à ce problème, car j’avais l’impression d’avoir bien fait les choses, que tout allait bien. Je ne pensais pas du tout que c’était quelque chose qui pourrait me toucher directement d’une façon ou d’une autre. Jamais je n’aurais pu imaginer que l’ex de ma fille la tuerait (Giulia, la fille de Gino, a été assassinée par son ancien compagnon, Filippo, le 11 novembre 2023, ndlr.).
C’est ça qui m’a fait le plus mal.
En tant que père, je me demande si j’ai fait tout ce qu’il fallait. Aurais-je dû faire plus ? Être plus proche de ma fille ? Étais-je assez ouvert ? Avait-elle peur ? Peut-être que j’étais un père cool, mais que je ne me rendais pas compte que la situation était grave.
Aujourd’hui, Giulia n’est plus là. Elle n’est plus là à cause d’une violence qui dépasse l’entendement, une violence qui décide de la vie des autres. Son ancien petit ami s’est approprié sa vie. Et c’est un problème récurent : 120 cas de féminicides par an en Italie et environ 90 000 dans le monde.
Giulia est devenue un symbole de ce massacre, mais Giulia n’est pas une exception. C’est un échec collectif.
D’un côté, vous aviez une jeune femme avec une vie bien remplie, un avenir tracé ; de l’autre, un garçon qui a ruiné sa vie. Si en tant que société, nous faisons naître des jeunes qui finissent leur parcours de vie de cette façon, cela signifie que nous n’avons pas communiqué correctement, que nous n’avons pas assez parlé, que nous n’avons pas transmis les valeurs fondamentales.
Filippo allait à la fac. Il allait être diplômé. Il aurait dû l’être. Parler de lui comme d’un monstre, c’est parler de lui comme quelque chose ou quelqu’un d’anormal. Parler de lui ou des accusés de Mazan (51 hommes actuellement en procès en France pour viols aggravés sur une femme droguée pendant des années par son ex-mari, ndlr.) comme de monstres, c’est les considérer comme des personnes qui ne font pas partie de la société.
Lorsque nous définissons un meurtrier de la sorte, c’est une façon de nous dédouaner. Si on a affaire à un monstre, on peut choisir de l’éduquer, bien sûr, mais s’il fini meurtrier, on pourra toujours dire : “On a tout fait pour éviter ça, mais c’est un monstre.” Nous supprimons toute responsabilité éducative.
Or c’est un mensonge, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Ceux qui commettent des féminicides ou des crimes de ce type le font parce qu’ils se croient maîtres de la vie d’autrui. Cette idée dérive de tous les héritages culturels du patriarcat. Le patriarcat c’est l’essence de l’homme comme détenteur du pouvoir.
En Italie, on dit souvent qu’à la maison, c’est l’homme qui porte la culotte. Cela signifie que les femmes valent moins que les hommes. Que seul un homme a les qualités pour commander, qu’il peut décider pour une femme. C’est fou quand on y pense !
Bien sûr, le féminicide est la partie émergée de l’iceberg. Il y a bien d’autres formes de violences de genre. Il y a des gens qui sont patriarcaux mais qui ne tueront jamais, simplement parce qu’ils connaissent les conséquences, qu’ils sont un peu plus équilibrés ou plus rusés. Ceux qui n’ont peut-être pas eu d’éducation affective, en revanche, peuvent tomber dans un narcissisme fou qui les amènera jusqu’au meurtre de personnes qu’ils devraient aimer.
J’ai créé, avec ma fille Elena et mon fils Davide, la fondation Giulia Cecchettin parce que je suis convaincu qu’il faut améliorer l’éducation de nos enfants et surtout mieux leur enseigner l’amour. Nous travaillons actuellement sur une proposition didactique pour aller dans les écoles et enseigner l’affection. L’idée est de faire comprendre aux plus jeunes que ça ne sert à rien d’être un “homme alpha”, de démonter un peu le stéréotype masculin encore en place aujourd’hui. De leur apprendre la valeur du “non”.
Ce n’est pas facile d’aborder ces sujets à l’école, car on est vite accusé·es de vouloir instrumentaliser les jeunes. Mai nous traversons une crise de sexisme, de machisme et de misogynie. Il faut que les parents comprennent que ces modèles sont très délétères. Si on veut changer les choses, il faut ouvrir un canal de communication avec nos enfants, leur donner de notre temps, les éduquer à de nouvelles valeurs exemptes de violences de genre. Car les enfants d’aujourd’hui seront les parents de demain.